Sur « le regard exotique »
Mme Karima OUAHBI, Enseignante de langue française, Lycée à Marrakech
Si autrui est signifiant, le regard porté sur lui contribue nécessairement à cette signifiance. Cependant, il y a un mais : tout regard se situe sur une ligne de fuite, par le regard autrui acquiert une assise. Mais comme le regard est évanescent, la signifiance d’autrui n’est pas définitive. Cette signifiance devrait constituer un des maillons manquants pour le moment de toute recherche de légitimation. Comment est-ce possible ?
Il n’est pas définit par ce qu’il est mais par ce qu’il n’est pas. De là, on peut déduire que le symbolique surgit souvent sur fond d’altérité plus que de différence. Et c’est selon cette différence que s’origine une culture et que peuvent se nouer les questions d’identités et de dénomination de soi et des autres.
L’impuissance du regard de cerner les interstices du visible et donc l’impossibilité du regard comme moyen de définir l’autre, à cerner la culture de l’autre et les richesses qui peuvent échapper à la vue. En plus le dispositif du regard implique une réciprocité entre le sujet qui regarde et l’objet du regard. Regarder les marques symboliques d’une culture consiste à se couler dans la durée de l’autre. Selon Lery, il ne suffit pas de voir, il faut voir toujours devant ses yeux.
Le regard doit être exotique pour pouvoir être interprété. Et l’éloignement n’est pas d’ordre spatial mais culturel.
C’est au détour des textes que, de loin en loin, une réflexion peut intéresser le problème de l’observation directe ou du regard anthropologique. Selon Malinowski, regarder l’autre, l’observer dans son milieu naturel nous conduit à « nous voir nous-mêmes à distance et d’appliquer à nos propres institutions, coutumes et croyances, des critères nouveaux, différents de ceux dont nous avions l’habitude d’user ».
La vue devient regard lorsqu’elle laisse la possibilité de se retourner vers elle-même à l’occasion de la rencontre avec un autre regard. Le regard, est bien plus qu’un sens, est une sensation : il déséquilibre, inégalité, transforme, bref, il introduit une doublure asymétrique du réel. Il fait plus que différencier, il altère et creuse une fêlure en soi dans l’Autre.
Dans le Crépuscule des idoles, Nietzsche préfigure un nouvel apprentissage : « Apprendre à voir-accoutumer l’œil au calme, à la patience, à laisser les choses venir à lui ; remettre à plus tard le jugement…on laissera venir à soi tout ce qui est inconnu, nouveau, avec un calme hostile… » (p 94-95)
Quoi qu’il en soit d’un tel savoir, l’exotisme perse autant sous la proximité que sous l’éloignement. Tout regard éloigne cela même qui était proche au départ. Et c’est en cela qu’il symbolise et fait sens, et qu’il exprime plus qu’il ne signifie. Il est exotique parce qu’il tient nécessairement à distance, à la différence du concept qui englobe son objet dans une intimité toujours indifférenciée. Par le concept l’Autre c’est moi.
C’est parce que le regard perçoit mieux les différences indiscernables que le toucher ou l’ouïe, qu’il est privilégié par les anthropologues. Il qualifie mieux qu’il ne quantifie dans une dimension hylétique. A partir de lui, il est possible d’élaborer un « paradigme de l’indice » comme dit Gainsbourg. Il peut constituer un modèle de connaissance exemplaire puisqu’il fait miroir et, renvoyant une image de l’Autre asymétrique à l’image de soi, articule l’intersubjectivité sur la problématique de l’enquête anthropologique.
Enfin, le regard peut être attentif à la soudaineté, au surgissement, à l’occasion imprévue : il capte et suit l’instantanéité.
Dans le regard, l’altérité est origine même, et non pas un rapport à l’origine. L’observateur peut, à la fois, se tenir dans un séjour stable, et non pas être confondu avec un autre : objectif ou subjectif. Il y a dans le fait de regarder quelqu’un ou quelconque phénomène culturel la convocation du visible, mais aussi la mise en œuvre de l’activité même du regard.
Husserl écrit dans les Recherches phénoménologiques pour la constitution : « c’est une chose que de voir, c’est-à-dire en général d’éprouver un vécu, de faire une expérience, de détenir quelque chose dans le champ de la perception ; c’en est une autre que d’accomplir par l’attention le « voir » au sens spécifique de « vivre » dans le voir sur un mode éminent… » (p 26)
Voir, mais en évitant d’être ravi ou d’avoir le regard capturé ; voir, mais sans obérer la conscience et le jugement a posteriori. Ce qui fait la richesse du regard en anthropologie c’est sa capacité à fêler les représentations. Il interdit aux dogmes et aux idéologies de signifier, avant même de commencer, le visible.
Une anthropologie du refus d’être contenu et défini révélerait peut-être ce qui se joue dans ce face à face, hostile ou complice, entre l’identité du même et l’altérité de l’Autre. Le regard n’exige pas d’exhaustion dans la connaissance. Il ouvre seulement sur des questionnements à propos desquels il est maintenant urgent de mesurer les conditions de possibilité discursive et de se demander s’ils peuvent déboucher sur un savoir rigoureux.
Référence :
Une synthèse de Exotisme et altérité de Francis AFFERGAN, presse universitaire de France, 1987.
La figure : comparaison dans le domaine littéraire
Dr. Amalendu Chakraborty
Professeur de Français
Assam University Silchar
Résumé
La comparaison, c’est la figure qui existe dans chaque langue. C’est une figure d’analogie. De la reconnaître et de l’analyse de cette figure sont développés dans chaque système de poétique. Voici un effort de montrer comment les poéticiens /rhéteurs sont venus à l’interprétation courante quand les rhéteurs/ poéticiens indiens l’ont interprétée en détail il y a des siècles.
La figure comparaison dans le domaine littéraire signifie, selon Jean Milly dans La poétique des textes –«Elle consiste dans le rapprochement explicite d’un terme avec un autre terme, avec lequel elle possède au moins un élément commun de sens. Elle repose sur un rapport d’analogie explicité par une conjonction «comme», «ainsi que», «de même que», un système de comparaison quantitative («plus que», «moins que», «autant que», «pareil à», «identique à»,«analogue à»), un verbe à sens comparatif («sembler », «paraître», «avoir l’air de»). (Page-186)
Genette, dans son article La rhétorique restreinte (paru pour la première fois dans La poétique, 16, 1970, pp 158-171; puis incorporé dans Figures-III, 1972) décrit que cette figure à quatre compartiments—
- le comparé—qu’on compare .
- le comparant—avec qui on compare le comparé.
- Le modalisateur—(comme, pareil à, ressembler etc.
- Le motif—de la comparaison.
Les premiers deux, Genette parle du critique anglais I A Richards a dit «véhicule» et «ténor» et les dernier comme «ground».
Genette ensuite dit que la comparaison peut prendre deux formes sensiblement différentes: comparaison non motivée (mon amour est comme une flamme) et comparaison motivée(mon amour brûle comme une flamme). Il parle aussi que la comparaison est une identification.
Genette ensuite décrit les différents cas de la comparaison par le tableau suivant:
Figure d’analogie | comparé | motif | modalisateur | comparant | exemple |
Comparaison motivée | + | + | += | + | Mon amaour brûle comme une flamme. |
Comparaison non motivée | + | + | + | Monamourressemble à une flamme | |
Comparison motivée sans comparant | + | + | + | Mon amour brûle comme… | |
Comparaison motivée sans comparé | + | + | + | …brûlant comme une flamme. | |
Comparaison non motivée sans comparant | + | + | Mon amour ressemble à … | ||
Comparaison non motivée sans comparé | + | + | …comme une flamme. | ||
Identification motivée | + | + | + | Mon amour (est) une flamme ardente. | |
Identification non motivée | + | + | Mon amour (est) une flamme | ||
Identification motivée sans comparé | + | + | Mon ardente flamme | ||
Identification non motivée sans compré (métaphore) | + | Ma flamme |
Maintenant regardons comment les poéticiens et rhéteurs indiens ont vu ces phénomènes-là.
Premièrement Yaska dans son Nirukta (un dictionnaire du Veda, au moins 500 ans avant de notre ère) a parlé de la figure comparaison (alaṅkāra upamā) et ses quatre partie. Voyons ces choses-là.
Yaska a parlé de deux de type de l’upamā: pūrṇopamā et vyastopamā. Dans la première catégorie, il y a tous les quatre éléments: upamāna, upameya(selon Yaska upamita), dharma(la propriété commune qui lie les deux) et un tulanāvācaka śabda (1,2, 4 et 3 décrits par Genette, voire au-dessus).
Selon la poétique indienne, quand il y a tous ces quatre éléments sont présents, c’est pūrṇopamā. L’absence d’un ou deux ou de trois éléments rend la figure comme luptopamā (selon Yaska vyastopamā)¸ voir Sāhitydarpaṇa de Visvanatha Kaviraja XIVe siècle.
Quand seulement le comparant existe est les autres sont absents, (Identification non motivée sans comparée selon Genette, métaphore in absentia selon Milly), la poétique indienne l’appelle atiśayokti.
Il faut voir que les anciens rhéteurs et poéticiens comme Yaska et Visvanatha ont reconnu ces propriétés de la comparaison avant les Européens. Bien sûr les présentations sone différent un petit peu, mais quand même, il faut remarquer la ressemblance frappante.
Référence:
Genette, G, 1972, Figures-III, Paris, Édition du Seuil,
Milly, Jean, 1992, La poétique des textes¸Paris, Nathan
Kaviraja, V, 1994,Sahityadarpana¸Varanasi, Chowkhambha
Chakrabarti, Shyampada, 1974, Alankar Chandrika , Kolkata, Sanskrit Book Depot