La lutte sociale et oppression dans Hirak Rajar Deshe et Germinal, de la France à l’Inde à travers les siècles – Anwesha Biswas
Author’s Name – Anwesha Biswas, Designation – Lecturer, Department – French, Affiliation – Syamaprasad College, Kolkata. Email – anwesha.sept9@gmail.com
Abstract
From a literary and cinematic perspective, there are several relevant pieces that condemn suppression, while also offering praise to the filiation of works focused on liberation, like Germinal – Émile Zola’s novel – and Hirak Rajar Deshe by Satyajit Ray. Each of these works is from different cultures and periods, however, they provide relentless commentary of socio exploitation and power misuse. The current study attempts to analyze those works from the perspective of social condemnation, symbolism, and political significance. The approach taken is premised on textual and filmic discourse as opposed to narrative and visual engagement. Germinal depicts the mining working conditions in northern France in the 19th century. Hirak Rajar Deshe is an explicitly political allegory that shows dissent against dictatorship and ideological orthodoxy. These two pieces depict that power corrupts, and the naive bear the brunt of it, but retain the message that collectively lies the strength. The human spirit victorious over totalitarianism is symbolized at the end of the film by the destruction of the statue. Such revolt is akin to the workers’ revolt depicted in Germinal. Thus, the intent of the analysis is to find similarities and differences, and correlations between social justice and the perception these works create.
Keywords : Social denunciation, Symbolism and power, Exploitation and oppression, Popular revolt, Committed cinema and literature, Political allegory
Introduction
Satyajit Ray, l’une des figures les plus emblématiques du cinéma indien, est reconnu pour ses films réalistes. Bien que influencé par le néoréalisme italien, il a su dépeindre, à travers la fiction, les luttes socio-politiques profondément ancrées de l’Inde, chose que les cinéastes italiens n’ont pas réussi à faire. Ses œuvres possèdent un certain réalisme, tout en exploitant la psychologie des personnages, leurs relations, leurs dialogues et même la musique.
Le Royaume du Roi de Diamant, ou Hirak Rajar Deshe, sorti en 1980, est la suite de Goopy Gyne Bagha Byne. Bien que surprenant en tant que film pour enfants, il offre une critique percutante du totalitarisme grâce à sa représentation réaliste du paysage socio-politique indien. Ray utilise le souverain mégalomane, interprété par Utpal Dutt, pour illustrer l’obsession du roi pour la politique. Ce personnage remplit une double fonction : il s’agit d’une satire politique sophistiquée du régime d’exception en vigueur de 1975 à 1977 sous Indira Gandhi. Ray parvient à donner la parole à ceux qui s’opposaient au totalitarisme à travers ces systèmes de pouvoir rationalisés.
Par ailleurs, Émile Zola s’inspire de la tradition littéraire française à travers son style narratif proche du manga. Germinal, le treizième tome du cycle des Rougon-Macquart, est sans conteste
le chef-d’œuvre de Zola. Publié en 1885, cet ouvrage décrit avec un réalisme implacable la grève des mineurs dans le nord de la France dans les années 1860, dénonçant les conditions de travail inhumaines et l’oppression subie par les classes laborieuses.
L’étude comparative de Hirak Rajar Deshe et de Germinal se justifie pleinement, car, bien que différents par leur forme (l’un étant un film, l’autre un roman), ces deux œuvres partagent une ambition commune : mettre en lumière les injustices sociales et démontrer comment la lutte des classes peut saper les structures de pouvoir oppressives et, potentiellement, renverser le fascisme.
Dans quelle mesure ces œuvres peuvent-elles critiquer le totalitarisme et l’exploitation économique dans leurs contextes historiques et géographiques distincts ? De quelles manières Germinal et Hirak Rajar Deshe utilisent-ils leurs procédés narratifs et esthétiques respectifs pour mettre en lumière la lutte sociale et la résistance à l’ oppression ? Afin d’atteindre leurs objectifs de recherche, Hirak Rajar Deshe et Germinal sont des exemples de littérature qui dépassent leur médium et leur contexte d’expression pour analyser la transcendance de l’oppression systémique et les efforts unificateurs pour parvenir à la justice sociale. L’étude de la lutte des classes en littérature a suscité un vif intérêt dans les études littéraires, cinématographiques et socio-politiques. Les critiques naturalistes et marxistes de Germinal considérant la vie de la classe ouvrière du point de vue de Karl Marx ou de Friedrich Engels, ont reçu une attention particulière. Les critiques sociologiques du roman, notamment Henri Mitterand, tandis que d’autres, comme Naomi Schor, se sont concentrées sur la figure du corps au travail et le déterminisme social. Le néoréalisme italien, qui a influencé nombre de films de Satyajit Ray, notamment la célèbre trilogie d’Apu, est fréquemment utilisé comme prisme pour analyser son œuvre. Cependant, plutôt que d’être une étude des conflits de classes, Hirak Rajar Deshe est largement perçu comme un conte populaire politique.
Des intellectuels comme Andrew Robinson ont exploré la réfutation de l’autoritarisme dans le film et l’ont liée à l’état d’urgence national décrété par Indira Gandhi entre 1975 et 1977. Les comparaisons entre Germinal et Hirak Rajar Deshe restent cependant rares. Si certaines œuvres ont évoqué la lutte des classes dans ces deux films, peu d’études ont cherché à les analyser en parallèle, sous l’angle d’un dialogue entre littérature et cinéma dans des contextes géopolitiques distincts. Révoltes sociales dans différentes nations : Bien qu’il existe une différence apparente entre les soulèvements ouvriers en France au XIXe siècle et la critique du régime par Indira Gandhi dans les années 1970, ils convergent vers les causes communes de la lutte contre l’exploitation et l’endoctrinement.
L’analyse
Déguisé en film pour enfants, Hirak Rajar Deshe (Au pays du roi de diamant, 1980) était une satire mordante du régime d’urgence d’Indira Gandhi. De manière prophétique, ce film allégorique reflète également certains régimes fascistes actuels. Ray met en lumière plusieurs points importants du film : la « création » tragique d’un terroriste, les dangers des avancées scientifiques financées par l’État, l’angoisse et la frustration des personnes talentueuses sous le régime des tyrans, et l’importance de l’éducation et de l’éveil des consciences.
Le réalisme est apparu au milieu du XIXe siècle en réaction au romantisme et aux formes d’art historique. Les artistes réalistes utilisaient des sujets du quotidien, comme par exemple les lieux de travail. Émile Zola, Honoré de Balzac et Flaubert sont des naturalistes qui ont exploité ces thèmes dans leurs œuvres littéraires. Le réalisme est un style qui, par définition, représente la vérité honnête et sans fard de la vie, à laquelle les gens du peuple, en particulier la classe ouvrière et le prolétariat, pouvaient s’identifier. Satyajit Ray est un écrivain, réalisateur et musicien qui a utilisé le réalisme dans plusieurs de ses films pour enfants. Hirak Rajar Deshe est l’un de ces films où Satyajit Ray mêle science-fiction, folklore, nationalisme, famine du Bengale et éducation. Hirak Rajar Deshe est le deuxième volet de la trilogie Goopy Gayen et Bagha Bayen, considérée comme l’un des films les plus influents dans tous les foyers bengalis. Tous les enfants du Bengale connaissent les dialogues du film, entièrement rimés.
L’histoire raconte les aventures de deux amis, Goopy et Bagha, qui reçoivent les « teen bor » (trois bienfaits) du « bhooter raja » (le roi des fantômes). Ces trois bienfaits incluent des provisions qui apparaissent au claquement de leurs mains, des chaussures magiques leur permettant de se téléporter n’importe où, et le pouvoir de chanter et de jouer du tambour. Le troisième bienfait était dangereux car, selon la légende, chaque fois qu’ils chantaient, ils ensorcellent leur public et le transformaient en pierre. Dès que la chanson était terminée, ils revenaient à la vie. Cette partie a été introduite dans le premier film. Dans cette partie, Goopy et Bagha affrontent le Hirak Raja, ou Roi de Diamant, un homme corrompu et malveillant. Tous ceux qui étaient de son côté étaient ses flagorneurs et ses courtisans. Les dialogues étaient tous prononcés sur un ton cadencé. Le roi pratiquait l’esclavage, interdisait les écoles et l’éducation, et
exigeait des impôts des paysans pauvres. En visionnant le film, on peut identifier tous ces problèmes dans la représentation sociale du Bengale sous l’impérialisme.
La condition des paysans pauvres pendant la famine du Bengale et la lutte des prolétaires sont dépeintes avec réalisme dans le film. Ray était fortement influencé par les valeurs de classe, anciennes et nouvelles, en matière de relations humaines. Le film montre l’effet de l’éducation, qui est au cœur de l’intrigue. Il est à noter que tous les personnages s’expriment en rimes, à l’exception du maître. Udayan, homme instruit et indépendant des adversaires du roi, avait pour but d’éduquer les enfants afin qu’ils puissent distinguer le bien du mal. Mais le cruel roi régnant déclara : « era joto beshi jane, toto kom mane » (Hirak Rajar Deshe), ce qui signifie : « Plus ils apprennent, plus ils savent, moins ils obéissent ». L’invention de la machine « Mogoj Dholai » (Le Lavage de Cerveau) par le « Boigyanik » (Le Scientifique), destinée à éradiquer toute idée et connaissance nouvelles de l’esprit des enfants, était une magnifique métaphore créée par Ray. Elle s’opposait à la situation de l’époque au Bengale et à ses idéologies hégémoniques. À travers le personnage maléfique de Boigyanik (Le Scientifique), Ray met en lumière les effets néfastes des inventions scientifiques tels que perçus par la société de l’époque. Les dialogues courts et rimés, présents dans le texte et le film, sont très captivants. Ray utilisait ces remarques sarcastiques pour dénoncer les travers de la société. À la fin du film, le roi subit le même sort et se voit endoctriné. Au point culminant du film Hirak Rajar Deshe, le roi se joint aux voix de ses esclaves et crie : « Tirez sur la corde pour faire tomber le roi ! » Ray conclut l’histoire sur une note positive, transmettant le message qu’ensemble, nous pouvons vaincre le mal et jouir de la liberté d’expression, de pensée et de vie.
Ray peut être considéré comme un cinéaste réaliste, mais il a également utilisé le fantastique et le réalisme conjointement dans sa trilogie Goopy Bagha, embrassant ainsi le meilleur des deux mondes. Grâce à l’utilisation du fantastique, il a apporté une touche de douceur à l’ensemble de l’histoire, dont la fin est conventionnelle et heureuse. Un milieu de fantaisie et de réalisme se déploie dans la trilogie, guidant les enfants vers une leçon morale d’une part, et d’autre part un message pour les adultes témoins des préjugés sociaux et des idéologies hégémoniques perverses. Chaque personnage et chaque détail du texte révèle un message social.
Ray était un disciple marxiste, tout comme Brecht, et il utilisait ses œuvres pour donner la parole à la classe ouvrière. Ray a été témoin du Bengale d’avant et d’après l’indépendance, et après la partition du Bengale en 1971, il a constaté les changements sociaux qui ont engendré de profonds bouleversements. Ray est devenu le narrateur de ce qu’il voyait autour de lui : la transformation et l’effondrement du pouvoir qui ont bouleversé la société. Au moment du tournage de ce film, des émeutes secouent le Bengale. Mais Hirak Rajar Deshe était en réalité le reflet de la situation du Bengale et du mouvement naxalite de 1975. Ray devait garder à l’esprit que le film était une œuvre de fiction pour enfants. Il ne pouvait pas représenter la « réalité » dans toute sa brutalité. Il devait d’édulcorer pour son public restreint. Ray a finalement mêlé réalisme et fantaisie dans son film Hirak Rajar Deshe afin de rendre compte des conditions sociales, politiques et culturelles du Bengale avant et après le Raj britannique.
Dans Germinal, Zola plonge le lecteur dans le monde sombre et misérable des mineurs de Montsou, où les ouvriers sont broyés par la bourgeoisie industrielle. Étienne Lantier, personnage central, devient le porte-parole de la révolte ouvrière, incarnant l’éveil politique et la lutte des classes marxiste. L’œuvre met en lumière la précarité des conditions de vie des ouvriers, leurs espoirs brisés et la violence sociale qui les maintient dans une situation de subordination constante. De même, Hirak Rajar Deshe présente un royaume fictif où le roi exploite les ouvriers des mines de diamants. La population vit sous un régime totalitaire, privée de toute liberté intellectuelle. Contrairement à Germinal, où la révolte se solde par un échec temporaire, le film de Ray offre une issue plus optimiste où la révolution triomphe grâce à l’intelligence collective et à l’union des opprimés. La dimension symbolique de la révolte dans Hirak Rajar Deshe montre que l’éducation et la culture peuvent être de puissantes armes contre la tyrannie, tandis que Germinal adopte une vision plus pragmatique et fataliste du soulèvement populaire.
Le rôle du discours et de l’endoctrinement idéologique ;
Un aspect frappant de Hirak Rajar Deshe est l’utilisation de la rhétorique et de la manipulation idéologique par le roi des mines de Hirak. Cette manipulation linguistique évoque l’oppression pratiquée par la classe dirigeante en Allemagne, où actionnaires et patrons contrôlent le discours sur la productivité et le travail, justifiant l’injustice au nom du progrès économique.
Cependant, Zola opte pour une approche plus naturaliste, exposant l’échec des idéaux révolutionnaires face à la brutalité du système capitaliste. Dans les deux œuvres, le langage devient un outil de pouvoir : dans Hirak Rajar Deshe, les slogans hypnotiques du roi sont un moyen direct de manipulation, tandis que dans Germinal, la domination se manifeste par le contrôle des médias et du discours social, ce qui fait apparaître la révolte des mineurs comme un acte irrationnel et destructeur.
Symbolisme et représentation de la nature ;
Dans Germinal, l’exploitation minière est omniprésente, incarnant à la fois la souffrance et la persévérance des ouvriers. Elle est décrite comme un monstre dévorant les travailleurs, un espace infernal qui les condamne à une vie misérable. L’injustice et la tragédie sociale sont accentuées par le ton dur de l’œuvre, ses descriptions réalistes et son caractère antagoniste. Dans Hirak Rajar Deshe, les mines de diamants symbolisent également un lieu d’esclavage, où une petite minorité monopolise la richesse nationale au détriment de la majorité. Cependant, tandis que Zola fonde son récit sur une réalité tangible et documentaire, Ray recourt à l’allégorie et au fantastique pour élaborer une critique politique plus accessible et nuancée. Un autre élément marquant est l’opposition entre la ville et la nature. Dans Germinal, le progrès industriel est un facteur d’aliénation, tandis que dans Hirak Rajar Deshe, la nature devient un espace de libération où les rebelles trouvent refuge. La forêt, lieu de résistance et d’introspection, s’oppose aux mines, symbole d’exploitation et de souffrance.
La lutte sociale dans Germinal est cyclique et sans résolution immédiate, tandis que Hirak Rajar Deshe met en lumière la possibilité d’un changement radical et durable. La question de l’organisation de la révolte est également cruciale. Conflits internes, trahisons et violence caractérisent le mouvement ouvrier allemand, qui finit par échouer. Dans Hirak Rajar Deshe, en revanche, une conscience collective et un plan bien pensé qui aboutit à la victoire renforcent la solidarité du peuple opprimé. L’influence des mouvements anticoloniaux et du mouvement d’indépendance indien, qui a promu une résistance unie contre l’oppression, se reflète assurément dans cette vision plus idéalisée.
Importance dans le monde contemporain ;
Ces œuvres restent d’une grande actualité. Dans un monde où la manipulation médiatique et informationnelle est omniprésente, et où les inégalités économiques sont une fatalité, Germinal et Hirak Rajar Deshe constituent des textes fondateurs. Les révoltes ouvrières décrites dans Germinal font écho aux luttes actuelles contre l’exploitation de classe galopante et pour de meilleures conditions de travail. Hirak Rajar Deshe, tout en traitant de la propagande et du totalitarisme, trouve un écho dans les problématiques contemporaines liées à la liberté d’expression, à la montée de l’autoritarisme et à l’influence des nouvelles technologies sur la pensée critique. Face aux défis du XXIe siècle, des crises économiques à la censure d’État en passant par les inégalités croissantes, ces deux œuvres délivrent un message simple : la résistance et la solidarité sont essentielles pour bâtir un avenir juste. La force de ces textes réside non seulement dans le passé, mais aussi dans l’universalité de leur message : l’espoir inébranlable qui permet d’éveiller les générations actuelles et futures et de les aider à surmonter la menace d’une oppression mortelle.
Conclusion
En juxtaposant Hirak Rajar Deshe et Germinal, nous découvrons deux représentations de l’esclavage et de la résistance qui, malgré leurs contrastes artistiques et culturels, convergent pour dénoncer l’endoctrinement idéologique et les injustices sociales. Ray est une fable politique où la critique sociale, la satire et la poésie coexistent avec la description réaliste et impitoyable du monde du travail par Zola. Ce contraste saisissant met en lumière l’importance et la pertinence de ces œuvres dans le discours actuel sur l’injustice et la résistance généralisée. Au point culminant, ces récits montrent comment la lutte contre l’oppression, sous toutes ses formes et à toutes les époques, est une crise mondiale et sans fin, témoignant de la soif inextinguible de justice et de liberté des peuples.
Bibliographie
- Balibar, Étienne et Immanuel Wallerstein. Race, Nation, Class: Ambiguous Identities. Traduit par Chris Turner, Verso, 1991.
- Bandyopadhyay, Samik. Satyajit Ray: Beyond the Frame. Seagull Books, 2003.
- Mitterrand, Henri. Zola et le naturalisme. Presses Universitaires de France, 1986.
- Ray, Satyajit, metteur en scène. Hirak Rajar Deshe. Performances d’Utpal Dutt, Tapen Chatterjee et Robi Ghosh, Gouvernement du Bengale-Occidental, 1980.
- Robinson, Andrew. Satyajit Ray: The Inner Eye. University of California Press, 1989.
- Schor, Naomi. Zola’s Crowds. Johns Hopkins University Press, 1978.
- Zola, Émile. Germinal. Charpentier, 1885.